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A Toulouse, le Covid-19, « c’est comme une inondation qui monte doucement mais sûrement »

La vague de Covid-19 enfle en Occitanie, atteignant un niveau déjà plus élevé qu’en mars. Au SAMU, à l’hôpital, dans les cliniques, on s’active pour répartir les patients … et pour maintenir les autres activités.

Ici, peu importe le grade, le siège fait la fonction. C’est le patron du SAMU 31 (Haute-Garonne) qui le dit, le professeur Vincent Bounes, l’œil rieur et pourtant sérieux, en regardant sa collègue urgentiste Manon Béchu, installée au cœur de « l’îlot de supervision » du centre de réception et de régulation des appels, ce mardi 3 novembre, à l’hôpital Purpan, à Toulouse. Sur la jeune femme de 35 ans, « superviseur » pendant ses dix heures de garde, repose une pression particulière : à elle de valider à distance, les soins enclenchés dans l’urgence. Et surtout de décider vers quelle structure orienter chaque personne qui a besoin d’être hospitalisée. Ce poste n’est occupé que par des médecins expérimentés.

Au fil des minutes, les bilans lui arrivent, dressés par les auxiliaires de régulation, qui évaluent le degré de gravité des appels, dans la salle des « décrochés ». Les yeux rivés sur son écran, le casque branché en permanence pour enchaîner les coups de fil avec les médecins, entourée de plusieurs collègues en appui, elle voit s’afficher en direct les places restantes dans les services d’urgence et de réanimation du département.

Avec des hôpitaux qui peuvent virer du vert au rouge, jusqu’au noir, selon le niveau de remplissage, qui flirte dans les pires moments avec les 200 %. « C’est à nous de négocier avec les structures, quand tout le monde est saturé », résume Manon Béchu. Ce qui arrive déjà en temps normal, mais encore plus dans cette période où les cas de Covid-19 grimpent dans la région.

Le pic d’avril dépassé

Moins touchée que d’autres lors de la première vague, l’Occitanie a dépassé son pic d’avril de 340 malades du Covid dans ses lits de réanimation : elle comptait déjà 376 patients en réanimation le 6 novembre, d’après l’agence régionale de santé (ARS). Quelques jours plus tôt, elle a dû déclencher un niveau supérieur de déprogrammation de l’activité des hôpitaux et des cliniques – jusqu’à 40 % – pour poursuivre l’ouverture de lits supplémentaires de réanimation.

C’est encore calme ce matin au SAMU. Au cours de la nuit précédente, en revanche, il a fallu jongler avec des structures saturées, raconte la docteure Béatrice Charriton, qui occupait le siège crucial à la tour de contrôle. Le SAMU fonctionne encore en mode « normal », sans la cellule Covid-19 refermée cet été, mais « cela ne devrait plus durer bien longtemps », ressent-elle, au vu de l’augmentation des appels liés au Covid-19. Ceux-ci représentent environ 200 des 1 000 appels traités désormais, contre 30 à 40 début septembre.

« Lors de la première vague, on a eu la chance d’être un peu protégés, en restant dans l’œil du cyclone, on a été gentiment secoués, décrit le chef de la salle de régulation au SAMU, Gérard Blanco. Cette fois-ci, c’est comme une inondation qui monte doucement mais sûrement, ça pousse tous les jours. » Pas de raz-de-marée sur les lignes du SAMU comme en mars, où l’inquiétude dominait avec de nombreuses sollicitations « pour un colis Amazon reçu de Chine », racontent les urgentistes avec le sourire. « Désormais, ce sont beaucoup de cas graves qui nous arrivent, et de chez nous », souligne le docteur Charriton, alors que la région a accueilli au printemps des transferts du Grand-Est.

« Il ne s’agit pas juste de trouver une place »

Quelques minutes plus tôt, au bout du fil, une femme souffrant du Covid-19 depuis dix jours, alors que son mari est déjà en réanimation, a vu sa gêne respiratoire s’aggraver. Plus de place en service d’ « urgence vitale » au CHU à Rangueil, explique Manon Béchu : les deux box réservés aux patients contaminés par le SARS-CoV-2 étant déjà pris, c’est aux urgences traditionnelles que la praticienne envoie l’ambulance qui la transporte, dans un premier temps, avant que le box souhaité se libère. « On essaie de répartir au mieux dans toutes les structures du territoire, mais il ne s’agit pas juste de trouver une place, il faut s’assurer qu’ensuite, si l’état du patient se dégrade, il pourra être pris en charge dans l’établissement en réanimation », décrit-elle.

Les patients non atteints du Covid-19 sont loin d’avoir disparu pour autant, même si la traumatologie des accidents de la route ou des soirées trop alcoolisées diminue depuis le couvre-feu. Impossible d’utiliser l’hélicoptère pour cet homme en réanimation à transférer du centre hospitalier de Saint-Gaudens vers Saint-Girons. « Ça ne vole pas », pour cause de météo défavorable, répond le pilote. Il faudra se reporter sur une ambulance, soit une équipe mobilisée pendant trois heures. « Nous n’avons pas encore de difficultés sur les patients Covid, le plus dur, c’est pour les autres », dit le professeur Bounes. Trouver une place pour ces derniers, alors que les services de réanimation, mais aussi de médecine conventionnelle, sont sous pression, devient toujours plus acrobatique.

La stratégie pour les malades atteints du Covid-19 reste la même qu’en première vague : « On charge progressivement tout le monde, hôpitaux publics et cliniques privés, pour qu’aucun site ne soit saturé », explique Vincent Bounes. Or, les patients sont, cette fois-ci, plus nombreux. « La situation est tendue, mais ça fonctionne bien », assure-t-il, vantant les habitudes à travailler ensemble, public et privé, dans la région. Sur la soixantaine de patients en réanimation dans l’agglomération toulousaine le 3 novembre – 130 pour l’Occitanie Ouest (ex-Midi-Pyrénées) – les deux tiers sont dans le public, un tiers dans les cliniques.

Force héliportée

Le SAMU compte déployer, dans les jours qui viennent, une force héliportée spécialement consacrée aux transferts de patients au sein de la région, qui ont doublé ces dernières semaines. C’est aussi un « concentré d’innovation », des mots du professeur Bounes, qui arrive en renfort : un camion « hôpital mobile », dépliable en vingt minutes, capable d’accueillir jusqu’à 18 patients en soins intensifs. Le camion devait prendre la direction de Bayonne lundi 9 novembre, afin de soulager le centre hospitalier de la côte basque.

A quelques encablures du SAMU, au CHU de Purpan, la concentration règne à l’étage de la réanimation. Un patient arrive, sur un brancard, pour être installé dans une chambre, suivi du chariot siglé « intubation difficile », et d’une nuée de médecins, d’internes et d’infirmiers. Son état s’est dégradé en service de soins continus pour les patients atteints du Covid-19, il faut désormais passer à une ventilation plus agressive. « Contrairement à la première vague, où nous avions quasiment tous les patients Covid de réanimation intubés, c’est désormais 50-50 », explique Olivier Fourcade, patron de la réanimation, marquant ainsi les progrès dans la prise en charge des malades contaminés par coronavirus, avec le recours à l’oxygénation à haut débit.

A Toulouse, voilà trois semaines qu’on a commencé à pousser les murs pour faire face à l’épidémie, à Purpan et à Rangueil, en transformant des lits de soins continus en lits de réanimation, ou des lits de réanimation « spécialisés » de neurochirurgie en lits polyvalents, pouvant accueillir des patients atteints du Covid-19, pour atteindre 115 lits, contre 92 début septembre.

Dans le couloir où s’activent les soignants, il a fallu aller plus loin ces derniers jours face à la vague qui monte et « décloisonner » cet espace jusque-là épargné pour accueillir des malades contaminés par le SARS-CoV-2. Juste à côté, le secteur Covid-19 de huit lits est complet. « Ce sont les changements de phase qui sont les plus difficiles, dit l’anesthésiste-réanimatrice Béatrice Riu, évoquant l’inquiétude des personnels potentiellement appelés à changer de services pour venir renforcer les équipes de réanimation. Maintenant, on y est, on est en phase ascendante ». Ils sont 37 patients atteints du Covid-19 dans les murs des réanimations à cette heure, dans des services occupés globalement autour de 90 %.

Système de soins « en tension »

Selon les projections de l’Institut Pasteur, le système de soins va être « en tension » durant les deux semaines qui viennent, reconnaît sobrement le professeur Fourcade. « Chez nous, l’évolution est encore linéaire, et pas exponentielle », souffle-t-il, avec l’espoir que la stratégie d’augmentation des capacités en lits et les sorties des patients, qui restent désormais moins longtemps à l’hôpital, permettra de passer le cap. Si le confinement n’entraîne, en revanche, pas d’effet, cela deviendra critique après le 15 novembre, avec l’obligation de recourir à des salles de réveil notamment, qu’il faudrait alors transformer en réanimation, craint-il.

Sur son téléphone s’affichent en permanence les remontées de ses homologues de réanimation de toutes les structures toulousaines : « En plus de la régulation du SAMU, nous ajustons sans arrêt la répartition des lits. » A ce jour, les taux d’occupation de patients atteints du Covid-19 en réanimation vont de 20 % à 50 %, évalue-t-il, le haut de la fourchette concernant plutôt les hôpitaux publics.

En centre-ville, à la clinique privée Pasteur, qui compte seize lits de réanimation, quatre lits sont occupés par des malades du Covid-19. Soit déjà le maximum atteint lors de la première vague. Dans les prochains jours, il faudra porter cette capacité à huit lits. « C’est la première fois qu’on montera aussi haut », dit la médecin anesthésiste-réanimatrice Madeleine Croute-Bayle. Ce qui n’a rien d’évident pour l’établissement spécialisé en cancérologie et chirurgie cardiaque, peu propice à la « déprogrammation », qui compte également 6 patients atteints du Covid-19 en soins continus, 9 en hospitalisation conventionnelle, ainsi que 52 pris en charge en hospitalisation à domicile.

« Cette stratégie progressive, où l’on partage l’effort et où l’on s’adapte à la montée en charge par palier, permet de ne pas déprogrammer massivement, et de se retrouver avec des lits vides comme on l’a vécu en mars, on ne veut pas refaire la même erreur », souligne celle que tout le monde surnomme « Maddy » dans les couloirs, également directrice médicale de la cellule de crise de la clinique. A l’époque, tous les établissements avaient déprogrammé la quasi-totalité de leur activité – sauf urgences – mais beaucoup n’avaient pas vu arriver un afflux de patients touchés par le Covid-19, la vague étant restée limitée.

Tenir « sans épuiser » le personnel soignant

Couloirs et vestiaires spéciaux pour le « circuit Covid », cadre en Plexiglas pour encadrer les brancards, poignées à « coudes » rouges sur les portes, formation des personnels, réorganisation des services… « La vague est supérieure à ce qu’on a connu en mars, mais étrangement peut-être, on se sent plus prêt », dit le directeur, Dominique Pon. La même inquiétude domine néanmoins dans l’ensemble des établissements, sur le nerf de la guerre : le personnel soignant. « Il faut tenir sur le long terme, sans épuiser les gens », reprend-il.

Parmi les difficultés, le temps consacré au remplacement des tenues de protection et à la prise en charge des malades contaminés par le coronavirus revient sans arrêt dans la bouche des praticiens. « C’est facile de s’habiller, le risque le plus important, c’est quand on se déshabille », souligne l’anesthésiste-réanimatrice Hélène Charbonneau, qui enfile sa surblouse et le matériel de protection pour entrer dans une chambre d’un patient atteint du Covid-19 en réanimation.

Les habitudes ont été prises dans ce service où un secteur consacré à la prise en charge du Covid-19 a accueilli quelques patients du Grand-Est durant première vague. « C’est plus facile qu’en mars, dit l’infirmière Claire Leygonie. Mais on n’a pas toutes les armes, sur les critères d’instabilité, la manière dont le patient réagit… on est encore dans le flou parfois, comme tout le monde, il reste des inconnues, ça met la pression. »

Cette fois-ci, ce n’est pas le Grand-Est mais le Gard, débordé, qui a transféré une demi-douzaine de patients vers l’agglomération toulousaine – pour moitié dans le public, pour moitié vers les cliniques. A une demi-heure de route, à la clinique de l’Occitanie, à Muret (Haute-Garonne), le seul patient contaminé par le SARS-CoV-2 intubé à ce jour, en réanimation, vient d’un transfert de Nîmes.

Dans la clinique qui accueille une douzaine de malades touchés par le Covid-19 – majoritairement en médecine conventionnelle –, on tient encore, sans avoir rogné sur l’activité. « La déprogrammation, on y est prêt, mais le plus tard possible », défend l’anesthésiste-réanimateur, Patrick Lafforgue. « Derrière la déprogrammation, il y a des patients, répète-t-il. Des chirurgies de l’estomac, des cancers, des patients à déchoquer… Le gros problème du Covid, ce sont les retards de prise en charge, et les dégâts collatéraux, qui sont énormes. »

Dans toutes les têtes, l’enjeu de cette deuxième vague est clair. Il va falloir être « endurant, prédit Bruno Jeanjean, directeur de l’établissement. La vague va être plus longue et plus violente ». A l’instar de plusieurs collègues médecins, il évoque déjà la perspective d’une « troisième vague » comme une évidence.

 

©  Le Monde , 09/11/20 par  Camille Stromboni