Les hôpitaux et cliniques privés « prêts à franchir un palier supplémentaire » par le Journal Le Monde
Dans les régions où le regain épidémique est le plus fort, entre 20 % et 25 % des malades du Covid-19 hospitalisés sont aujourd’hui pris en charge par le secteur privé, estime la Fédération de l’hospitalisation privée.
Alors que l’épidémie de Covid-19 continue de progresser et au vu de la saturation des hôpitaux publics dans les territoires les plus touchés, la Fédération de l’hospitalisation privée (FHP) donne à nouveau de la voix. « Le SAMU, les pompiers, les hôpitaux saturés ne doivent pas hésiter à nous envoyer des patients, il faut qu’on retrouve les réflexes de la première vague, les bonnes habitudes se perdent », constate Lamine Gharbi, son président.
Dans les régions où le regain épidémique est le plus fort, la prise en charge des malades par le privé se monte à l’heure actuelle entre 20 % et 25 %, d’après la FHP, qui compte plus d’un millier d’hôpitaux et cliniques répartis sur tout le territoire, pour près de 3 000 lits de soins continus et 2 000 de réanimation.
« Et en cas de nouvelle accélération de l’épidémie, nous pourrions doubler cette capacité pour monter à 4 000 lits de réanimation », assure Lamine Gharbi.
Contrairement à la première vague, la gestion de l’épidémie est désormais beaucoup plus territorialisée. Il n’est plus question de déprogrammer massivement de façon uniforme, mais d’y recourir au cas par cas dans les régions sous forte tension, comme en Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA), où ce taux oscille autour des 40 %. Dans cette région, un quart des patients Covid-19 en soins critiques sont actuellement pris en charge dans des structures privées, précise l’agence régionale de santé (ARS).
« Par rapport aux deux premières vagues, on doit absolument faire coexister les deux flux Covid et non-Covid. Ce qu’on attend aujourd’hui, c’est que les établissements privés puissent nous soutenir dans l’armement de lits intermédiaires [qui font le tampon entre les lits de salle conventionnelle et ceux de soins intensifs/réanimation], car cela protège les capacités en réanimation et les activités hors Covid », insiste Charles Guépratte, directeur général du CHU de Nice. Si le niveau de déprogrammation devait être augmenté dans les prochaines semaines afin de libérer des lits supplémentaires, « il sera évidemment demandé aux personnels soignants et médicaux des structures privées de venir armer les unités de soins critiques complémentaires ouvertes dans les structures publiques et privées concernées », précise l’ARS PACA.
« Stratégie de petits pas »
En Ile-de-France – où le taux de déprogrammation moyen est actuellement de 8 % –, 16 % des patients Covid sont hospitalisés dans le privé, indique l’ARS, aussi bien en hospitalisation conventionnelle qu’en soins critiques. « Il faut que les cliniques prennent leur part », disait Martin Hirsch, le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, au Monde fin février. Dans le 1 cas où la situation sanitaire viendrait encore à s’aggraver à court terme, en particulier en soins critiques, où la plupart des hôpitaux publics sont proches de la saturation, le privé pourrait prendre en charge jusqu’à « 25 % à 30 % des patients hospitalisés en réanimation comme nous l’avions fait pendant la première vague », assure Lamine Gharbi.
Atika Alami, directrice générale du groupe Vivalto Santé pour les Yvelines et le Val-d’Oise, constate qu’à l’heure actuelle, ses neuf établissements, dont le Centre hospitalier privé de l’Europe, au Port-Marly (Yvelines), sont « moins sollicités que lors de la première ou de la deuxième vague en termes d’hospitalisations », qui concernent davantage leurs services de médecine que de soins critiques. « Il y a beaucoup de suivi ambulatoire et à domicile, ajoute-t-elle. Mais on est tous prêts pour passer un palier supplémentaire en cas d’affluence sur les soins critiques à laquelle se prépare l’Ile-de-France, on a pour ça la possibilité de monter des réanimations éphémères comme en première vague. »
Les débuts de l’épidémie avaient été marqués par des querelles de chapelle entre le public et le privé. Un an après, cette coopération s’articule de manière plus fluide. « Dans certains territoires, au début de la crise, certaines cliniques s’étaient fait tirer les oreilles pour déprogrammer, ce n’est plus le cas, la sollicitation du privé est maintenant immédiate dès qu’il y a des montées en charge », observe Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France.
« Au départ, les centres hospitaliers étaient référents Covid et tout passait par eux. Ils se sont aperçus qu’ils ne pouvaient pas faire sans nous, on a été mis dans la boucle et obtenu 100 autorisations dérogatoires de réanimation, rappelle le président de la FHP. C’est plus fluide que lors de la première vague parce qu’on se parle », citant le déploiement de cellules de coordination hebdomadaires où chacun fait état de ses besoins et possibilités de prise en charge.
« Depuis le début de la deuxième vague, on a tissé un partenariat public-privé avec une stratégie de petits pas pour établir la jauge capacitaire nécessaire, la doctrine étant de partager à équivalence la charge du Covid sur les établissements », témoigne de son côté Thierry Piche, président de la commission médicale d’établissement du CHU de Nice.
Typologie des patients
Sur le terrain, à chacun ses enseignements tirés par rapport aux deux premières vagues. La Polyclinique de Grande-Synthe (Nord), établissement privé non lucratif, a ainsi défini avec le centre hospitalier de Dunkerque la typologie des patients accueillis dans l’un ou l’autre des établissements afin que les patients soient orientés directement. « Comme nous avons une spécialité en gériatrie mais pas de service de réanimation ou soins intensifs, on prend plutôt les patients les plus âgés, notamment en provenance des Ehpad [établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] touchés par le Covid », explique Cécile Gozé, sa directrice. Rouverte le 10 février, l’unité Covid de son établissement a triplé sa capacité en trois semaines, passant de 8 à 24 patients, mais il n’a pas les effectifs pour aller au-delà.
Dans les Hauts-de-France, au 2 mars, 18 établissements privés accueillaient 2 des malades du Covid-19 à raison de 104 lits de soins critiques déployés, soit 15 % du dispositif régional, indique l’ARS. « Lors de la première vague, existait une coordination purement dunkerquoise, elle s’est depuis élargie jusqu’au Boulonnais [Pas-de-Calais] en passant par Calais et Saint-Omer. Les informations sont beaucoup plus transparentes entre nous », complète Alexandre Coste, directeur de la Clinique de Flandre, à Coudekerque-Branche (Nord), où ont été transférés 44 patients en provenance du centre hospitalier de Dunkerque ces dernières semaines.
Surtout, tous les acteurs font état d’une meilleure réactivité : « On peut arrêter la chirurgie ambulatoire du jour au lendemain et si on arrête le mardi d’opérer, le vendredi il n’y a plus personne dans les lits, affirme encore Lamine Gharbi. Il faut qu’on garde cette dynamique de préparation pour pouvoir lutter s’il y a une troisième vague. »
Le cas échéant, « on saura répondre, appuie Atika Alami. On entend encore : est-ce que le privé joue sa carte ? J’espère qu’un jour on arrêtera de nous poser la question ».
© Le monde.fr par Elisabeth Pineau - Samedi 6 mars
