L'épargne sanguine, qu'est-ce que c'est? La réponse avec le Dr Berthezene
Dr Rudy Berthezene, Anesthésiste Réanimateur en chirurgie cardiaque de la clinique Saint-Augustin, Président du CSTH, explique la notion d’épargne sanguine et le projet PBM qu’il porte au sein de la clinique Saint-Augustin.
Qu’est-ce que l’épargne sanguine ?
La gestion personnalisée du capital sanguin ou PBM (Patient Blood Management) est une démarche innovante centrée sur le patient, visant à limiter la transfusion. C’est un concept transversal, qui s’est développé depuis une dizaine d’années et qui concerne l’ensemble du parcours de soins, avec une liste d’items à promouvoir chez tous les intervenants.
Cette stratégie repose sur 3 grands axes :
- Avant la chirurgie, il faut maximiser le capital sanguin du malade,
- Pendant la chirurgie, il faut limiter les pertes même minimes,
- Après la chirurgie, il faut diminuer les prélèvements sanguins, les consommations excessives de sang, et améliorer la tolérance du patient à l’anémie.
Pour agir, il existe plusieurs leviers : médicamenteux, techniques, organisationnels, etc. même si l’un des axes majeurs reste l’évolution des pratiques professionnelles du prescripteur.
Quels sont les bénéfices pour le patient ?
En augmentant statistiquement le risque d’infection ou d’œdème pulmonaire même temporairement, le recours à la transfusion allonge mécaniquement la durée d’hospitalisation. En moyenne, une personne transfusée est susceptible de passer 24 à 48h de plus à la clinique (par rapport à un patient non transfusé) et en cas de nécessité de transfusion importante cela peut passer à 3 jours voire une semaine.
Pourquoi épargner la ressource sanguine ?
D’une part, à l’échelle individuelle, donc comme expliqué ci-dessus : pour le bénéfice direct du patient. D’autre part, sur une dimension collective, c’est dans l'intérêt général. Si actuellement, dans les pays développés la ressource est plutôt excédentaire, la situation risque de s’inverser. D’abord, au vu de l’évolution de la démographie et du vieillissement de la population, car l’offre qui est majoritairement portée par les jeunes (18-24 ans) peinera à satisfaire la demande en ressource (concentrée sur les 60-80 ans), ce qui risque de conduire à des difficultés d’accès, notamment pour les groupes dits “rares” et donc possiblement à des questions éthiques voire pire à des inégalités de prise en charge.
De plus, dans le 2ème plan d’action gouvernemental sur le changement climatique, il existe un item spécifique sur la transfusion. Il est identifié, du fait du réchauffement climatique et de ses impacts, une diminution des dons. D’une part le déplacement des populations aura un impact sur les collectes de sang, d’autre part l’émergence de nouveaux agents pathogènes qui pourrait limiter la libre circulation du sang. Cet ensemble de facteurs fait que d’ici 2060, les études anticipent une baisse de 25% des dons de sang, et si certaines équipes de recherche essayent de trouver des substituts au produit sanguins, faute de résultats exploitables à ce jour, nous n’avons pas d’autre choix que de rationaliser leur utilisation.
Cette réflexion s’inscrit dans la démarche d’écoconception des soins : s’interroger, mettre en perspective, évoluer… S’il faut agir rapidement, il ne faut pas non plus tomber dans l’autosatisfaction court-termiste type “greenwashing” ou pire du changement à tout prix qui interviendrait au détriment de la qualité des soins prodigués aux patients. Il faut être vigilant pour ne pas être à l’origine d’un dysfonctionnement même mineur qui pourrait significativement impacter l’organisation des prises en charge.
Finalement, le concept de Patient Blood Management s’articule bien au centre des 3 piliers RSE : le côté responsabilité sociétale face aux prévisions démographiques, son impact environnemental non négligeable du fait de l’empreinte carbone de la logistique du sang, et le respect des convictions des patients qui peuvent être moins enclins à recevoir une transfusion, même en dehors de toute considération religieuse.
Que faites-vous sur Saint - Augustin ?
La clinique souhaiterait faire la démarche d’obtenir le label PBM, théorisé par les équipes du Goethe Universität de Francfort, avec qui nous sommes en relation. Dans un premier temps, cela consiste à réaliser une auto-évaluation à partir d’items définis, qui analysent l’ensemble du parcours patient, puis de mettre en œuvre un plan d’actions adapté aux axes d’amélioration identifiés.
Ici, les équipes ont toujours eu la culture de l’efficience, il y a donc certains items du référentiel PBM qui sont déjà intégrés depuis longtemps dans nos pratiques courantes. Nous réalisons régulièrement des audits sur la pertinence transfusionnelle, et constatons chaque année une baisse du taux de patients transfusés, notamment dans le cadre de la chirurgie cardiaque, logique premier consommateur de l’établissement. Forts de ce constat, nous avons concentré nos efforts sur la phase préhospitalière. L’optimisation sanguine préopératoire est mise en œuvre avant des interventions chirurgicales majeures ou dans le cas de carences pouvant ralentir la réhabilitation.
- Avant l’intervention, le patient reçoit une perfusion intraveineuse de fer pour arriver le jour de la chirurgie avec sa propre hémoglobine augmentée. Son administration ainsi que sa surveillance sont réalisées dans le secteur d’Hospitalisation De Jour de la clinique pendant qu’il rencontre différents intervenants d’une équipe multidisciplinaire (Infirmières, Kinésithérapeutes, Diététiciennes) qui le prépareront à son séjour à venir.
- Ensuite pendant l’intervention, en plus de nos habitudes déjà raisonnées, nous allons travailler avec le laboratoire d’analyses pour diminuer le volume de prélèvements sanguins. Cela fait partie des axes de progressions « intraopératoires » mais qui nécessitent des investissements techniques.
- Enfin après l’intervention, il faut s’attacher à augmenter la tolérance du patient à l’anémie (confort, repos, lutte contre la douleur), mais aussi celle du prescripteur, ce qui va impliquer une modification de ses habitudes professionnelles (adaptation du seuil d’indication transfusionnelle par exemple).
Bref, pour reprendre le slogan de Francfort : Wir Sind Dabei ! (Nous sommes concernés ! NDT)

